Cabrera J6 : samedi 19
Les habitats troglodytiques
Les lascars consacrent cette journée à l’exploration des habitats troglodytiques découverts par dizaines au sud de la grotte des rafalés. Leur condition sportive étant durement éprouvée ces derniers jours, ils obtiennent le soutien des gardes du parc pour véhiculer leur matériel d’étude. Qu’importent les phlyctènes, l’équipe se met en marche pour parcourir les quelques kilomètres qui séparent les deux cornes de l’ile.
Il leur faut là encore traverser une vaste étendue d’arbustes épineux et de crètes épineuses, celles-là même qui déchiraient les pieds des soldats. Les archéologues courent de barres rocheuses en éperons afin d’identifier chaque habitat. Aucun n’est à la même altitude, ils montent et descendent, puis remontent.
Les cavités ont été aménagées de manière opportuniste par les captifs, ici avec des pierres sèches, là avec des dalles plus imposantes. Le lieu, comme les précédents explorations de grotte, est vierge de tout visite humaine. Ces abris rappellent le témoignage du libérateur Isidore Duperrey, qui en arrivant dans le port à bord de la Goélette rose, mentionne “une multitude de spectres sortant des rochers”.
Les archéologues constatent un autre aspect de la captivité à Cabrera. L’occupation et l’aménagement de ces cavités vont du trou d’homme (un individu) aux anfractuosités (une dizaine d’individus). Ils correspondent essentiellement à la recherche de fraicheur durant les longues semaines estivales où aucune végétation ne les protège et où l’eau manque cruellement mais également de protection lors des hivers plus froids en cette période.
La fréquentation de la grotte des rafalés prend tout son sens. Malgré un accès difficile, elle est constamment occupée par des centaines de prisonniers. Les chercheurs observent scrupuleusement les colmatages et les pierres dressées qui constituent les murets de protections contre le vent. A l’intérieur des ces chambres de fortune, des creusements créent des bénitiers dans lesquels les captifs récupèrent les rares eaux douces.
Un lascar découvre un bouton du 4e d’infanterie légère (leurs uniformes sont plus petits). Voila qui vérifie l’hypothèse d’occupation de ces abris. L’équipe est active. Entre relevés photographiques, relevés topographiques et photogrammétrie, c’est plus de quatre spots qui sont étudiés ce jour, représentant une trentaine de cavités.
Les archéologues, concentrés et silencieux, imaginent ces captifs les yeux tournés vers Majorque et la Colonia Sant Jordi. Ils songent à l’attente de ces hommes depuis le belvédère, à ces longues heures à scruter les bateaux au départ de Palma.
Ces pauvres hères ne sont que des hommes débandés, en rupture avec l’organisation règlementaire qui prévalait. Chaque corps avait son propre regroupement de baraquements. Les occupation explorées témoignent de cette volonté de soustraction à une forme de hiérarchie militaire.
Le site est saisissant ! Le lieu est fossilisé. Les pierres, les tentatives de protection, la volonté d’utiliser les moindres cavités….
Le théâtre citerne
Le second objectif de la journée consiste à étudier la stratigraphie de remblaiement du premier théâtre abrité. Une partie des lascars se dirige vers l’ancienne citerne. Ils savent, d’après les textes, que le premier théâtre était un théâtre de verdure, extérieur. Les intempéries avaient alors incité les soldats à chercher un abri en dur. La citerne du château fut détournée et réemployée.
Redécouverte partiellement, en partie ruinée sous la végétation, elle offre un tableau encore spectaculaire. La voûte en plein cintre, aujourd’hui disparue reste perceptible. Les chercheurs peuvent néanmoins observer celle du fond, conforme à la description du chirurgien Tillé. Ce premier théâtre est de petite capacité : une dizaine de spectateurs.
Les assertions des mémorialistes sont ainsi vérifiées. Les archéologues constatent l’érection d’un mur pour créer un fond de scène, ainsi qu’un remblaiement pour surélever cette dernière. Le travail n’est pas aisé. Les lascars piochent dans cette roche ingrate. Deux sondages leur permettent de confirmer l’exhaussement partiel du sol dans le fond de la citerne (là où se trouvait la scène).
La faible jauge de ce premier théâtre abrité avait poussé, une fois encore, les captifs à chercher un autre lieu. Le choix se porta donc sur la caverne qui surplombait le bassin naturel. Celle ci, étudiée lors de la mission 2021, offrait une succession de gradins pouvant accueillir plus de 300 spectateurs. le départ des officiers en 1810 et le durcissement des conditions des captifs avaient provoqué l’abandon de ce théâtre par les survivants.