Cabrera

Histoire d’une tragédie

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Une aventure extraordinaire

Cabrera est un îlot rocheux inhabité de 15 km², aujourd’hui protégé et fut le théâtre d’une tragédie historique peu connue. Sur ce caillou, plus de 11 000 soldats impériaux, en grande partie des prisonniers de la défaite de Baylen, en Espagne (juillet 1808), ont été déportés en plusieurs convois, entre mai 1809 et mai 1814.

Des prisonniers moribonds –soldats napoléoniens Français, Belges, Suisses, Polonais ou Italiens– acheminés depuis les effroyables « pontons » de Cadix (bateaux-épaves qui servaient de prisons) où ils mourraient déjà en grand nombre. Déposés à Cabrera, abandonnés de tous, ils périrent par milliers.

 

La fatale campagne d’Espagne

Si la campagne de Russie fut un effroyable désastre qui engloutit la Grande Armée, Napoléon reconnut, exilé à Sainte-Hélène, que les « affaires » d’Espagne avaient été fatales au destin de son Empire. Voulant mettre en coupe réglée la péninsule, pour y faire appliquer le blocus continental et par ambition dynastique, il dresse contre lui une nation entière qui, sans le vaincre, va lentement dévorer ses forces. En Espagne, les troupes françaises furent saignées à mort.

La guerre d’Espagne fut une « sale » guerre, une guerre sans gloire. Napoléon y perdit un prestige consacré à Tilsit en juillet 1807. Stendhal qui admirait l’Empereur écrit en 1818 : « La guerre d’Espagne marque à la fois l’époque de la décadence de la puissance de Napoléon et l’époque de la décadence de son génie. La prospérité avait graduellement changé et vicié son caractère. » Dans l’entre-deux-guerres, l’historien Louis Madelin, également fervent admirateur, concluait sur l’affaire d’Espagne, dans son Histoire du Consulat et de l’Empire, avec ce mot : « Ce fut donc un crime, et, par surcroît, ce fut une faute. » Pour Jean Tulard, l’intervention française en Espagne fut même la grande erreur de Napoléon. Mais pour le spécialiste, la faute n’est pas tout à fait incompréhensible à l’aune du conflit franco-anglais et de la politique de blocus qui en découlait. Le conflit espagnol ne fut pas sans raisons, même si les motivations ne furent pas toutes raisonnables, animées de la volonté de puissance de l’Empereur qui rêvait d’une hégémonie française sur l’Europe (le « Grand Empire »). C’est dans ce sens également que l’historienne Natalie Petiteau, auteure d’une biographie sur Napoléon, prolonge la réflexion. Elle juge la conduite de l’Empereur entièrement guidée par sa volonté de triompher de l’Angleterre. Or Albion exerce une influence considérable sur le Portugal. Mais la guerre contre le royaume lusitanien, qui commence le 18 octobre 1807, est d’emblée imposée à l’allié espagnol contraint de fournir des troupes et des moyens logistiques. Pour Natalie Petiteau, suivre le cheminement qui conduit à la guerre d’Espagne, c’est comprendre comment Napoléon a cessé d’être le guerrier de la Révolution pour ne plus être que le premier des souverains d’Europe qui se heurte pour la première fois à une résistance nationale organisée. Thierry Lentz montre finalement combien la méconnaissance de l’Espagne est l’une des causes premières des errements napoléoniens dans la péninsule.

En Espagne, Napoléon fut conquérant, jouant de la discorde entre Charles IV, manipulé par Godoy, et son fils Ferdinand, prince des Asturies. « Tout ce monde-là » se soumit à Bayonne et fut placé ensuite en résidence surveillée à Compiègne et à Valençay.

Le 10 mai, Napoléon offrait à Joseph la couronne d’Espagne, tant espérée par Murat qui occupait Madrid où il avait maté l’insurrection du 2 mai, el dos de mayo. Début juin, l’Espagne entière était en feu, un feu attisé par des milliers de prêtres et de moines fanatiques partis en croisade contre l’antéchrist Napoléon, le fils monstrueux de la Révolution qu’il avait pourtant cessé d’être.

Pour les soldats ce conflit fut la découverte à grande échelle d’une forme de guerre nouvelle où les acteurs militaires n’étaient pas les seuls à combattre. L’implication des populations civiles animées par un sentiment de revanche exacerbée donna lieu à un déchainement de violence inédite, à laquelle les militaires répliquèrent par des répressions parfois féroces. La guerre d’Espagne fut ponctuée de succès et de revers, mais loin des théâtres d‘opération où s’illustrait leurs frères d’arme de la Grande Armée commandé par l’Empereur, ils connurent pour certains une forme de désaffection à l’égard de Napoléon.

 

La défaite de Baylen et la convention d’Andújar

Origine et déroulement de la bataille

Dans leur grande majorité, les prisonniers de Cabrera étaient des soldats de l’armée qui capitula à Baylen (ou Bailén) en juillet 1808.

En mai 1808, Murat avait confié au général Pierre Dupont de l’Etang le commandement d’une armée chargée d’occuper le port stratégique de Cadix pour le soustraire à la Royal Navy. Cette armée de 13 000 hommes était peu aguerrie, constituée en grande partie de jeunes recrues inexpérimentées, françaises et étrangères, commandées par des officiers de second ordre. Les conscrits français étaient rassemblés dans des légions de réserve et des régiments provisoires qui avaient été complétés en 1807 avec la classe de 1808. Les seules troupes solides étaient constituées de cinq cents marins de la Garde impériale et de trois mille trois cents mercenaires suisses. L’Espagne continuait de se désintégrer en juntes provinciales indépendantes, loyales au roi Ferdinand VII retenu en France.

Début juin, le général Dupont, arrivé à Andújar, apprend le soulèvement de l’Andalousie. La progression de l’armée se faisait dorénavant en territoire hostile. Victorieux des Espagnols à la bataille du pont d’Alcolea, les Français investissent la ville de Cordoue qu’ils pillent neuf jours durant. Les soldats français allaient payer chèrement les crimes et les pillages perpétrés dans la capitale andalouse.

À Cordoue, Dupont apprend que Cadix et la flotte française qui s’y trouve bloquée depuis 1805 sont tombées aux mains des insurgés. Il apprend également le rassemblement au sud d’un grand nombre de troupes ennemies commandées par le général Xavier de Castaños. Dupont renonce alors à poursuivre sa mission et ordonne une retraite sur Andújar. Au cours de cette retraite, les soldats français font l’expérience de la haine fanatique des Espagnols. Ils découvrent des scènes d’une barbarie absolue exercée sur leurs camarades laissés en arrière durant leur progression.

À Andújar, Dupont attend plusieurs semaines sans rien entreprendre, malgré un important renfort des divisions Vedel et Gobert qu’il concentre à Baylen, à 15 km du camp d’Andújar. Il dispose alors d’une armée forte de 20 000 fantassins et 3 400 cavaliers, appuyés par 36 pièces d’artillerie.

Castaños attaque le 14 juillet mais l’affrontement direct n’a pas lieu. Des combats sanglants se succèdent mais sans bataille décisive. Menant une charge de cavalerie, durant ces journées de combat, le général Gobert est tué.

Le 17 juillet, les troupes espagnoles du général suisse Théodore Reding occupent Baylen après un mouvement de recul de la division Vedel, coupant la retraite de la division Dupont partie trop tard d’Andújar et ralentie par une colonne de cinq cents chars tirés par des boeufs, chargés de blessés et, surtout, du butin du sac de Cordoue et de sa région. Attaqué sur ses arrières, Dupont tenta désespérément de percer le front à Baylen puis, ses troupes épuisées et diminuées de deux bataillons suisses passés à l’ennemi, demanda une suspension d’armes le 19 juillet à 12 h 30, alors que Vedel revenait avec succès sur le champ de bataille. Ce dernier stoppa la progression de ses troupes à l’annonce du cessez-le-feu, avant d’apprendre le 24 juillet la capitulation totale de l’armée française, soit 15 à 17000 combattants. Vedel tenta de se soustraire à cette capitulation et entama une retraite vers Madrid qu’il dut interrompre sur ordre de Dupont, pressé par les Espagnols.

La convention d’Andújar

Les soldats invaincus de Vedel se trouvaient compris dans la reddition obtenue par Dupont. Finalement, les négociations aboutirent à une convention de capitulation, dite d’Andújar, signée le 22 juillet 1808. Dans une étude récente, François Houdecek rappelle que ces conventions de capitulation, fréquentes car relevant des règles de la guerre en usage, constituaient des actes légaux, établis dans le respect de l’honneur, de la parole donnée et du droit des gens qui tenaient lieu de droit de la guerre. Après les honneurs de la guerre rendus aux vaincus, ce fut le cas à Baylen où l’honorabilité des combats du 19 juillet fut reconnu, les conventions réglaient le sort des hommes.

La convention d’Andújar établissait que seuls les soldats de la division Dupont, environ 8 000 hommes, étaient prisonniers de guerre. La division Vedel qui n’avait pas pris part au combat du 19 à Baylen et qui n’avait pas participé au pillage de Cordoue pouvait regagner la France par voie maritime. Elle gardait armes et chevaux, restitués par les Espagnols avant l’embarquement. Si les soldats de Dupont gardaient leurs bagages, les Espagnols exigèrent leur fouille avec l’espoir de retrouver les objets liturgiques volés à Cordoue. Cette exigence contraire à la règle constitua un sérieux point d’achoppement et finalement les recherches furent conduites par des officiers français.

D’une manière générale (et théorique), la capitulation d’Andújar respectait dans l’honneur le sort des Français vaincus et la convention prévoyait dans le détail les modalités de leur prise en charge, notamment les soins et la protection. Les prisonniers napoléoniens étaient assurés d’un bon traitement, conforme à « la générosité qui caractérise la nation espagnole », selon les mots du général Castaños. Ce dernier avait engagé son honneur militaire mais les conditions accordées aux vaincus furent jugées trop avantageuses par les autorités civiles.

Très vite, la convention de capitulation fut dénoncée par les Espagnols qui arguèrent de la perfidie de Napoléon à leur égard. Ils redoutaient également que les combattants libérés ne reprennent rapidement les armes contre eux, malgré la parole donnée ; après une capitulation et contre libération, les officiers et soldats prenaient l’engagement de ne plus servir contre le vainqueur.

Finalement, la junte refusa de renvoyer les 7 000 hommes de Vedel. Les Espagnols disposaient des Français comme ils l’entendaient et ces derniers allaient connaître un sort dramatique à partir de l’automne 1808. D’abord laissés en proie à des populations fanatisées qui voulaient les massacrer, ils furent transférés sur les pontons de Cadix puis déportés sur l’île de Cabrera dans les Baléares où très peu survécurent.

Avec la capitulation en rase campagne du général Dupont, le puissant mythe de l’invincibilité napoléonienne tombait. Napoléon ne pardonna pas. Il fit juger et condamner les officiers supérieurs pour « attentat contre la sûreté de l’État et contre l’honneur du nom français », au terme d’une instruction longue de quatre années. Dupont fut emprisonné et Vedel exilé. Le 1er mai 1812, Napoléon promulgua une loi qui condamnait à mort tout officier qui capitulait en rase campagne.

Lorsque les survivants de Cabrera furent rapatriés en France en mai 1814, Dupont était ministre de la Guerre du gouvernement de la Première Restauration. Il ne leur accorda aucune attention. Parmi les rescapés se trouvait le caporal Delroeux, originaire de Tourcoing dans le nord de la France. Au sujet de la bataille de Baylen, le sous-officier écrivit cette réflexion :

On pourrait demander comment une armée française composée de 27 000 hommes s’est rendue aussi facilement que celle de Baylen. […] Le général Dupont, qui commandait en chef le corps d’armée, s’était emparé à Cordoue d’un trésor considérable, il voulait en être l’unique possesseur, tandis que les autres généraux et particulièrement Vedel voulait en avoir leur part, de là vint la désunion. Le général Dupont voulait conserver son trésor et battre en retraite, ce trésor était lourd, et ne pouvait être traîné que lentement ; il fit partir notre division trop tôt, ou plutôt il partit trop tard, mais il ordonna au général Vedel de l’attendre à Baylen, puis il donna contre ordre. Vedel se voit frustré de sa part du butin, peut-être a-t-il voulu faire une niche à Dupont ? en ne volant pas promptement à son secours […] Tout me porte à croire que Vedel voulait tendre un piège à Dupont, puisque ce fut malgré lui que nous avons volé au secours de la 1re division que nous aurions encore délivrée s’il aurait voulu s’employer et faire son devoir, comme il l’aurait dû faire ; mais alors il fallait prendre l’offensive, et n’écouter que notre courage ; mais il n’en fit rien ! Il craignit d’assumer une trop grande responsabilité sur sa tête. Donc, l’intérêt particulier de Dupont l’emporta, et fut la cause principale de la non réussite de la domination française qu’on voulait établir en Espagne.

 

La captivité à Cabrera

Pour les vaincus de Baylen, Cabrera fut une terrible captivité de cinq longues années marquée par des ravitaillements indigents et une précarité absolue. On les débarqua, déjà très affaiblis par les pontons, et on les laissa se débrouiller pour survivre dans un lieu sans ressources –et sans gardiens. Quelques femmes les accompagnaient qui furent malmenées. Les gradés échappèrent à cet enfer ; ils furent transférés en Angleterre en 1810.

Dans l’île-prison, les soldats connurent des conditions de captivité réellement inhumaines qui furent relatées par plusieurs survivants. Dans les premiers temps, les hommes mourraient littéralement de soif et de faim6. Leur dénuement était complet. Les maladies les tuaient, la folie et le désespoir aussi. Le suicide était un recours. Les hommes allaient nus, les fournitures de vêtements étaient quasi inexistantes.

Certains se réfugièrent dans des grottes pour ne plus en sortir. L’anthropophagie fut pratiquée. Isolés, livrés à eux-mêmes, les captifs s’organisèrent malgré tout jusqu’à former une petite colonie primitive. L’autorité fut confiée à un conseil. Un hôpital de fortune fut aménagé mais les médicaments manquaient pour combattre les fièvres, la dysenterie et le scorbut. Un cimetière fut créé mais les pluies torrentielles emportaient les corps inhumés dans des fosses trop peu profondes. Les outils manquaient pour les creuser et, faute de combustible suffisant, les tentatives de crémation furent catastrophiques.

De petites agglomérations de baraques de pierre et de branches se développèrent progressivement autour d’un petit port naturel à l’accès limité par un goulet. Les hommes se regroupèrent selon leurs unités. Un mémorialiste rapporta qu’il y avait plus de 1 400 « maisons » de soldats-prisonniers sur l’île, toutes numérotées. Un autre, Louis Gille, tint un journal et fit un dessin et un plan de l’île.

L’île de Cabrera aujourd’hui et l’île peinte par le prisonnier et mémorialiste Louis Gille (© Frédéric Lemaire)

Malgré tout, les Français créèrent un théâtre et des pièces furent réécrites de mémoire. Une chapelle fut construite. Les feux d’une loge maçonnique furent allumés7. De petits artisanats émergèrent. Les restes humains servaient de matériau, après que le bois de genévrier sabine fut épuisé. Un petit commerce se développa avec les pêcheurs majorquins. Les castagnettes fabriquées par les « habitants » de « l’île aux chèvres » plaisaient à Palma… Un monnayage de fèves fut établi. Une souris valait six à huit fèves, cinq fois plus pour un rat. Quelques évasions réussirent et les hommes rentrés en France alertèrent sur le sort des « oubliés de Cabrera ». On imagina des plans pour les secourir. Ils ne furent jamais mis à exécution. Fallait-il secourir ou se battre pour les vaincus de Baylen, premier échec important des armées napoléoniennes ? Les conséquences psychologiques furent immenses dans les deux camps, les Français perdaient leur invincibilité, les Espagnols devenait les « vainqueurs des vainqueurs d’Austerlitz ».

Après cinq années de détention, deux convois ramenèrent en France 3 400 survivants –les calculs imprécis des autorités majorquines quant au nombre d’arrivées et de départs sur l’île-prison indiquent que, sur un total d’environ 11 800 prisonniers détenus, entre 3 500 et 5 000 auraient péri sur le rocher ; les estimations françaises sont bien plus importantes, mais jugées exagérées.

Pièce d’échec fabriqué par les prisonniers de guerre de Cabrera (© Pep Amengual, MargalidaTur et Gabriel Carrió)

Les émissaires qui vinrent annoncer la délivrance, puis les équipages des bateaux qui les rapatrièrent en France au printemps 1814, après la première abdication de l’empereur Napoléon Ier, furent horrifiés et indignés par le traitement qui fut fait à ces hommes, leurs compatriotes. Des « spectres sortis des abîmes de la terre », écrit Louis Isidore Dupperey, l’un des libérateurs, en fait, quelques centaines d’hommes désespérés, décharnés et loqueteux, hirsutes et crasseux, certains plus morts que vivants, perdus dans les rochers, reclus dans leurs galetas, abrités d’un soleil assassin. Dans le registre du désastre humain, le nom de Cabrera est à la captivité ce que la Bérézina est à la bataille. D’ailleurs, ceux qui furent secourus ignoraient tout des terribles revers de l’invincible Grande Armée, de son anéantissement dans les plaines enneigées de Russie, de son combat titanesque à Leipzig, de son épique résistance face à l’invasion des coalisés. Les survivants de Cabrera découvrirent le pavillon blanc des Bourbons restaurés et pour beaucoup ce fut une terrible contrepartie à leur libération. Finalement, leur délivrance résultait de la défaite de leur empereur et non de la gloire de ses armées, comme ils l’avaient espérée. Julie Pellizzone, a laissé un témoignage sur l’arrivée des rescapés à Marseille. Dans son journal, à la date du 18 juin 1814, elle écrit :

C’était une chose à la fois hideuse et pitoyable de voir ces pauvres gens, maigres comme des squelettes, nus ou à moitié couverts de lambeaux pourris, sans aucun reste de chemise, ni bas, ni souliers, mourant de faim et racontant des choses inouïes de ce qu’ils ont souffert dans leur longue captivité. Ils ont été huit ans prisonniers en Espagne et les Espagnols, justement indignés de la guerre atroce et cruelle qu’on leur faisait, ont fait souffrir à ces infortunés tout ce qu’il est possible d’imaginer. Ils ont été longtemps relégués dans une île déserte, où l’on oubliait quelquefois huit jours de suite de leur porter des vivres. Un jour, on leur en porta ; ils étaient si affamés qu’ils s’emparèrent de la bourrique chargée de leurs provisions, ils la tuèrent pour la dévorer.

La plupart ont péri dans cette île. Ils y avaient été menés 14 000, et ceux qui ont vécu se sont nourris de racines et d’herbe arrachée aux rochers arides de cet écueil.

Vue du camp de Cabrera, prise du château de cette isle © Dessin inédit du manuscrit Thillaye

Le drame de Cabrera, peu connu du grand public, reste l’un des plus effroyables du XIXe siècle. Quelques survivants témoignèrent : « On revient de l’autre monde quand on revient de Cabrera ». Pour ces rescapés, il s’agissait de mettre des mots sur des maux parfois difficiles à dire ou à faire entendre. Nul doute cependant, ils avaient bien connu le paroxysme de l’horreur. Le capitaine Ménouvrier-Defresne rapporta à Masséna la terrible découverte :

« Je n’avais jamais cru que l’enfer ait pu exister sur cette terre, nous y revenons. »

Le corpus des sources écrites est aujourd’hui constitué, la réalité archéologique reste à établir. La beauté de l’île ne doit pas faire oublier qu’elle fut l’envers du décor de l’épopée napoléonienne, comme le souligne Jacques-Olivier Boudon dans sa postface du livre de Denis Smith.